L'eau, juste délice. CESSAN !
0515 : Le réveil sonne. Je dirais presque, enfin. Encore une nuit à mal dormir, mais là je n’ai vraiment pas beaucoup fermé l’œil de la nuit. Le stress sûrement, celui d’affronter, habillé, casqué, harnaché et parfois attaché, ce fluide, cet élément, pour lequel l’homme n’est pas fait : l’eau. Cette eau que je survole avec délice pour apercevoir ses tons changeants, les ombres des nuages et les raies de lumière qui se réfléchissent dessus, Cela pour sauver des vies, découvrir les auteurs de pollution, s’entraîner à être le meilleur pour débusquer un jour l’ennemi et le détruire. Faire en sorte qu’il nous craigne pour que l’envie de nous envahir, d’égorger nos familles, ruiner notre pays ne lui vienne pas à l’idée. Cette eau qui, un jour, pourrait m’engloutir ainsi que mes camarades. Souvent, les deux pieds dans le nez vitré, « la bulle », je regarde les vagues à peine trente mètres en dessous de la pointe de mes chaussures de vol. Y survivre n’est pas une affaire de novice, s’en sortir en vie l’apanage de spécialistes entraînés qui sauront aider la chance et voir au soleil levant arriver les secours. Moi dans un ATL2, un hélicoptère, un bateau, une équipe de recherche, mais pour cela il leur faudra affronter l’élément sans scrupule qui leur hottera la vie à la moindre erreur.
Oui, du stress de me retrouver au milieu des maîtres de la survie qui vont nous faire passer de gré ou de force leurs connaissances et nous faire acquérir les réflexes qui un jour pourront peut-être me renvoyer au combat alors que mon existence aurait été irrémédiablement perdue. Ne pas oublier mon sac, léger pour partir les deux prochains jours, que j’ai préparé la veille : maillot de bain, serviette, pas grand chose en somme. Un peu de route, retrouver mes amis, tous militaires, avant de monter dans le bus direction la base de Lanvéoc Poulmic qui donne sur la rade de Brest, battue par les embruns, le crachin et cette fois-ci, les orages aussi.
Onze ans de service et donc la troisième fois que je viens, cette fois-ci comme la dernière fois pour un rafraîchissement. Il est maintenant 0815 et j’ai dormi dans le bus pendant presque tout le trajet. Mes yeux ont du mal à s’ouvrir, la bouche pâteuse, la journée commence mal, heureusement que l’on commence par des conférences. Essentielles pour se rappeler pourquoi nous venons ici. Une eau à dix degrés tue un être humain en deux heures, je vous passe les détails en cas de blessure avec le choc d’un crash. J’ai bien failli me retrouver à la patouille une fois, il n’y aurait peut-être pas eu grand chose à faire survivre, mais bon, sait-on jamais. Inventaire de tout ce que l’on trouve dans les trousses de secours, les ingrédients contenus dans les canots, nos Mae West, comment s’en servir, tous les petits gestes qui permettent de s’en sortir, de faire la différence, seul ou en groupe. Etre autant que possible au sec, s’occuper l’esprit, et boire régulièrement, sans eau potable, c’est la mort en quelques jours alors que l’on peut rester un mois sans pratiquement rien manger. La mer, elle, tue en quelques heures, sans canots, sans gilet de sauvetage, sans combinaison étanche.
Après midi, ma fatigue s’est mué en mal de tête atroce au fils des confs toutes plus intéressantes les unes que les autres mais avec un goût de déjà vu remis à l’ordre du jour avec quelques nouveautés, heureusement. Justement la conférence du médecin de la Base AéroNavale, jeune, dynamique, il nous fait un topo sur les problèmes médicaux induits par la survie en mer et les médicaments que l’on emporte avec nous. Ceux que l’on trouvera dans les conténaires des canots si on a le temps de les prendre avec nous à l’évacuation. Mais à quoi servirait d’évacuer en mer sans les canots ? Sa conf est très bien faite, pas d’ennuie. Puis, Un briefing sur des actions qu’il faudra répéter à la piscine d’ici demain.
Maintenant est venu le temps d’aller se baquer. Perception de l’équipement, une tenue de vol (à la bonne taille de préférence), des chaussons de plongé (beaucoup mieux que les chaussures de vol en cuir que l’on nous prêtait avant), le casque en plastique léger (cent fois mieux que les casques chasseurs avec visière dont ils nous affublaient avant), on va presque pouvoir nager normalement. Ils nous donnent également la tenue néoprène pour la matinée de demain en mer. Maintenant rendez-vous à la piscine, je suis mes camarades en nous équipant joyeusement. Rien de bien traumatisant, une apnée d’une trentaine de secondes sous un mètre d’eau mais entièrement habillé, avec la mae west pesante sur les épaules et le casque gênant sur la tête. Quelques minutes de natation histoire de s’habituer au poids des fringues gorgés d’eau et de la mae west repliée pour le moment inutile.
Sortie du bassin, je m’avance vers l’épreuve suivante, l’esprit tranquille. De nouveau dans l’eau, je m’avance en nageant vers le plongeur et la bouée que j’attrape. A son top, je plonge en canard m’enfonçant tout vêtu dans les eaux bleues de cette piscine au plus profond de six mètres. J’équilibre la pression dans mes oreilles dés que ça commence à siffler. Il fallait plonger à 1 m 50 j’ai du en mettre 1 m de plus. Pas grave, je suis à mon aise. Je me mets debout dans l’eau sans autre contact que sa main tendue pour me retenir dans le flou de la piscine qui m’enserre : le silence. En surface, je devine la bouée jaune que je viens de quitter. Mes vêtements se collent à ma peau pendant que je retiens ma respiration. J’attends le signal du plongeur qui ne tarde pas. Je me précipite sur les systèmes déclenchant de gonflage des boudins de ma mae west. Merde, je n’ai pas fait le bon geste et je me reprends aussitôt. Je glisse mes doigts derrière les boudins au niveau du cou et je les longe de mes doigts jusqu’aux boules rouges sensée pendouiller en bas mais qui dans l’eau n’en font qu’à leur tête, surtout avec l’aide des plongeurs qui eux portent un masque et peuvent les cacher dans un repli de tissu. Je les trouve et tire dessus. La bouteille sous pression lâche le gaz dans les boudins qui se gonflent avec un bruit infernal. Me voilà déjà en surface absorbant une grande goulée d’air frais alors que le plongeur me débriefe aussitôt, critiquant le geste que j’avais corrigé juste un instant au paravent. Je retourne avec ceux qui m’ont précédé nageant comme nous pouvons, encombré par les gros flotteurs autour de notre tête qui nous maintiennent de gré ou de force à la surface de l’eau.
Fin de la natation, nous retirons nos effets gorgés d’eau. L’une des membres de l’équipage c’est fait mal aux oreilles. Elle prenait des médicaments pour ces dents… résultat deux otites barotraumatiques. Interdite de vol pour au moins trois semaines, fin du stage, retour anticipé à Lorient. Douche, bus (la base est grande et à flanc de falaise), nous rejoignons nos chambres, les murs sont en papier à cigarette et j’entends discuter deux étages plus hauts. Sûrement des marinettes vue l’intonation haut perchée.
Alors que je faisais mon lit, j’entends le Patron EQuipage qui briefe les autres pour les jours suivants. Je sors dans le couloir, on m’a collé avec un équipage différent du mien pour venir au stage. Qu’importe la boutique est toute petite et l’on se connaît presque tous. J’ai déjà volé avec certains, je suis parti en détachement avec d’autres, lorsque nous n’avons tout simplement pas partagé le même équipage pendant quelques années, voir même un cours commun. Ils ont une inspection le jeudi, nous devrons revenir le vendredi pour finir le stage, les charmes de la vie militaire. On me propose de rester pour faire ma dernière journée avec des inconnus qui partagent notre stage, quatre gendarmes, deux hélicoptéristes, un jeune médecin. Je suis venu en bus avec eux et de toute façon je serais coincé jusqu’au vendredi, autant rentrer une soirée chez moi et revenir avec eux.
Un peu de calme. Je finis mon lit, nickel. Seul dans la chambre, celui qui devait la partager avec moi à des amis sur cette base et s’en va en virée. Heureusement que j’avais prévu mon science et vie. 1800 le PEQ passe me voir, ils vont boire un verre au bar… je les rejoindrais une fois mon article fini. Je leur laisse un peu de temps entre eux. Manger, lire, brossage de dent, couché tôt « 2200 », les orgues de Staline battent entre mes tempes et j’ai besoin de repos.
0500 Je regarde l’heure, j’ai bien dormi mais me réveille tôt comme à mon habitude. J’arrive péniblement à me rendormir. Petit à petit le bâtiment s’éveille, j’attends impatiemment que mon téléphone portable sonne les 0645 pour être à l’heure. On rend nos chambres qui n’auront donc servi qu’une nuit. Petit déjeuner, bus, les plongeurs nous pressent. Casques, gants, néoprènes, bus, nous arrivons sur la jetée et les pontons. Nous attendons le matériel pour le charger sur le bateau.
Pendant le transit vers notre zone de baignade, l’eau est à quinze degrés, nous expérimentons les fusées de détresse qui s’envolent vers le ciel en pétaradant, lumineuses. J’actionne à mon tour le percuteur après avoir rentré comme convenu l’artifice dans le stylo lance fusée, je tourne la tête et me protége de mon autre main. Rien ne se passe, je crois à un incident de tir, le plongeur est mort de rire à côté de moi : « c’est la première fois que je vois ça ». Il interpelle son collègue, moi je me sens idiot avec mon stylo vide « elle est pas partie, il a tout fait comme il faut quoi, mais elle est tombée dans l’eau quoi ». Il me dit d’en prendre une autre, je recule le percuteur, place mes mains idéalement, actionne la chose et la fusée part… Ouff. Une partie de rigolade en plus… Tout n’est pas perdu.
Ils ont disposé des canots individuels et un collectif. On saute dans l’eau froide, gelée même, les néoprènes ne sont plus de la toute première jeunesse et laisse entrer beaucoup de liquide. On les rejoint et un par un nous grimpons dedans après moult exercices de retournement. Rigolo mais crevant avec le collectif et sa bouteille qui pèsent plus lourd que moi. Avant et après longue attente dans l’eau un peu fraîche pour 15 degrés, il faut bien l’admettre.
Je m’installe dans un individuel pendant qu’ils ont mis un deuxième collectif à la flotte histoire que tout le monde puisse être à peu près au sec. Dans l’eau on se refroidit 20 fois plus vite que dans un air aussi froid. Nous répétons les premiers gestes de survie, la mer est plate, très agréable, mais pas réaliste, nous rassemblons les canots. De lourds nuages noirs montent vers nous et nous regardons l’orage approcher lentement. L’hélicoptère super frelon doit venir nous chercher bientôt. Une longue demi-heure se passe avant qu’ils ne s’approchent de nous avec le bateau. Il nous faut remonter tous les canots sur le bateau, pas d’hélitreuillage cette fois-ci, panne au roulage. Dommage, j’adore cette sensation, fouetté par les embruns soulevés par le rotor une quinzaine de mètres au-dessus avant d’être emporté, collé contre le plongeur par le treuille qui vous remonte vers la bête d’acier hurlante au souffle chaud vous dominant de ça carcasse menaçante mais secourable. L’orage se déchaîne lorsque enfin nous touchons terre. Il est bientôt midi et on se demande si nous aurons le temps de manger autrement qu’avec un lance pierre une fois tout le matériel déchargé.
1330, « Allé allé changez-vous en vitesse on a à faire. » deux minutes quinze plus tard nous revoici habillé de nos fringues encore légèrement humides de la veille, après les briefing treillage en piscine et gloutte. Les patmar dont je fais partie sont dirigés vers une autre pièce pour que chronomètre en main on nous fasse enfiler ces maudites combinaisons étanches que nous emportons à bord de l’ATL2 et qui vont encore nous faire ressembler à des cosmonautes oranges. Environ trois minutes pour enfiler le merdier, sans le stress de devoir évacuer l’avion, la panne, la place confinée et la demi-obscurité de l’avion, le déballage des tenues de soirée fort élégantes. Bref une bonne suée avant d’aller se faire enfermer dans la boite métallique. Les autres, gendarmes, hélicoptéristes, médecins, sont en train de finir, nous attendons. Notre exercice sera plus simple mais complété par un autre plus adapté à notre fonction.
« Allé, les patmar, c’est à votre tour ! » Tout le monde hésite, je m’avance, j’adore ce manège d’acier. Je monte dans la bête qui ressemble à un écorché de cockpit d’hélico dégoulinante de flotte. Assis sur le siège métallique du pilote, je branche la carotte de mon casque, froid ! Je me brelle avec les sangles qui me maintiendront sur mon siège. Derrière nous un plongeur épie chacun de nos gestes à l’affût d’une erreur fatale. Un bras mécanique énorme soulève la nacelle du sol, au pupitre de commande un autre plongeur nous fait pivoter pour nous suspendre au-dessus de la piscine. Dans notre dos l’autre fait le singe pour remuer la cabine qui est sensée se crasher bientôt. On a à peine le temps de finir de s’attacher qu’ils lancent la séquence. La cabine plonge vers l’avant. Arracher le câble radio et sa carotte pour ne plus jamais la lâcher, faire semblant d’éjecter la porte latérale, alors que l’eau envahit avec force remous la cabine, hurlant en passant entre les pièces de métal. J’attrape la poignée latérale (seul point de repère sur la cabine une fois immergé), l’autre main sur mon nez pour pouvoir équilibrer lorsque la pression va augmenter et ne pas perdre mes tympans. L’eau m’arrive presque instantanément aux genoux, il est temps de prendre une longue inspiration. Silence, cahot dus au passage violent de l’eau contre moi alors que je m’enfonce dans les profondeurs de la piscine, emporté par le poids de la cabine poussée par le bras mécanique qui la dirige.
J’équilibre, mes oreilles cessent de siffler, merci Vasalva. Ma main descend sur le mécanisme quatre points de la ceinture de sécurité. J’attends patiemment que le plongeur me tapote l’épaule pour me faire signe qu’il est temps de quitter la cabine. Un autre m’attend juste après la porte à l’affût de tout ce qui pourrait dépasser, de la moindre erreur pour m’attraper et me contraindre à quelques secondes supplémentaires d’apnée. Il est temps, je me détache, accompagne la boucle parfaitement détachée loin sur le côté pour ne pas être entravé. Mon autre main n’a pas quitté la poignée salvatrice (ça me servira d’autant plus vendredi), je me tourne et main après main empoigne le pourtour de la porte pour enfin me propulser hors de l’appareil. Je fais encore quelques brasses au bord de l’explosion pour éviter tous les débris de mon éventuel appareil crashé et qui pourraient me blesser ou crever le boudin de ma mae west. Je la déclenche enfin et remonte à la surface, respiration.
Je prends la queue derrière mes collègues déjà sortis. Au bout du câble, un treuil quelques mètres au-dessus, sur l’eau une ceinture au bout d’un énorme crochet métallique. On répète les gestes appris et tout juste révisés, seul dans l’eau il faut savoir enfiler le harnais afin d’être remonté dans un hélico de sauvetage. Encore essoufflé, gêné par le gros boudin autour de la tête, la technique fonctionne relativement bien et une fois bien saisiné, un grand cercle du bras et ça monte, les mains jointes sur l’aine on se soulève dans les airs. En haut, le treuilliste m’attrape et me met à l’abri sur une plate forme.
Changement d’endroit une autre cage en acier nous attend mais cette fois, ça ressemble un peu plus à une tranche arrière d’ATL, mon avion. Tout juste immergé, il faudra se faufiler à trois dans un espace réduit avec des objets flottants, des cordages tendus, les mains des plongeurs qui nous retiennent avant de recouvrer la liberté et l’air qui manque tant à mes poumons au bout de quelques dizaines de secondes.
Fini pour aujourd’hui, douche, bus, retour à Lorient, prochain épisode vendredi…