Message édité 3 fois, dernière édition par A.J. Crime, 03 Novembre 2014, 16:21   Citer le message Lien vers ce message 03 Novembre 2014, 8:53
Bonjour,

voici la début de l'un de mes romans, de l'épouvante, (thriller comme ils aiment dire aujourd'hui) commencé il y a longtemps je le remets au gout du jour... beaucoup de travail de réécriture mais ça avance et je peux ainsi vous livrer le début dans le cadre de l'évènement "les auteurs francophones SFFFH ont du talent" :

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Château d’Écosse

d' A.J. Crime


Première partie
(1er round)

L'ESPRIT





1





Il roulait à vive allure depuis environ deux heures sur cette petite route venant de Dundee au volant de sa Ford. Il dépassa un panneau indicateur du nom de la petite bourgade d'Écosse où il pénétrerait dans cinq miles : "Tanna’Saoghal". Sur la carte, le château devait être à environ trente minutes du village en s'enfonçant dans les Highlands.

Tanna’Saoghal reposait au pied de concrétions rocheuses, la plaine vallonnée depuis le bord de mer prenait alors brutalement fin. Le soleil brillait haut dans le ciel et son estomac le rappelait bruyamment à l'ordre. Il n'avait rien emporté pour manger sur la route, certain de croiser des bourgades équipées de restaurants. L’arrière pays présentait un aspect de no-mans-land où des hameaux déserts se disputaient avec des ruines.

Il se rendait dans ce village pour se livrer à sa passion, les châteaux, et celui-ci nourrissait son imagination. Il ne se limitait pas à l'Écosse, mais les grandes demeures de ce pays de légendes le passionnaient.

Il visitait rarement par un aussi beau temps, mais ne sait-on jamais, la tourmente pourrait peut-être se lever et rajouter un peu de piquant à cette histoire. Il en avait pourtant vu des bâtisses noires et abîmées résister fièrement aux éléments au sommet d’éperons rocheux imprenables, de montagnes battus par la pluie. Le vent soufflait avec rage entre les pierres, faisant naître dans l'imagination des habitants une cohorte de démons terrifiants, effrayants, bien plus encore lorsque l’Humain se complet dans le doux frisson des craintes superstitieuses, infondées.

Jusqu’à la révélation ! A postériori, il savait avoir croisé, vu ou entendu de véritables esprits. L’expérimentation de l’au-delà ouvrait les yeux sur un monde complexe et parfois dangereux. Tout jeune homme, il repoussait ces sornettes avec des moqueries faciles. Plus tard, tout à son engouements des vieux bâtiments, il avait entendu des histoires troublantes, jusqu’à entendre des bruits que l’imagination seule n’expliquait pas. Une démarche objective, reliée à des connaissances en physique sérieuse fournissait l’argumentaire nécessaire pour répondre et écarter des terreurs qu'il méprisait, abjects. Il regardait avec une certaine pitié des hommes et femmes terrorisés, privés de leur intelligence, abandonnés de toute réflexion, dépassés par des événements banals.

Mais un jour, au cœur même de cette Écosse de légendes, un autre aspect de la vie et de la mort lui avait été révélé. Tel un Athée qui se convertit en entendant la voix du seigneur, il s’était forgé une indéfectible foi en une nuit. À presque trente ans, remettre en cause des certitudes de toute une vie en quelques heures au péril de sa vie, il y avait de quoi être retourné et générer de nouvelles passions. Son pied relâcha imperceptiblement l’accélérateur alors qu’il se rappelait le déclencheur de sa nouvelle vie, de sa reconsidération du monde, de tout ce qu’il apprenait au jour le jour et aux personnes qu’il avait rencontrées par la même occasion…



*******



Une paisible matinée s’était écoulée dans un passé où sa Ford Escort flambant neuve affrontait les épingles à cheveux d’une route de montagne, presque un chemin défoncé. Le ciel, alourdi de nuées grises, n'avait pas laissé paraître le soleil. Les sommets alentours restèrent invisibles derrière la couverture nuageuse compacte et immobile tant le vent s’était absenté. Un sentiment prédominait ; il ne pleuvrait pas et l'air stagnerait dans l’attente béate du premier coup de tonnerre.

Concours de circonstance qui rendait l’après-midi agréable enfermé entre les murs frais et humide du vieux manoir habité par un Lord à l’âge canonique. Il se rappellerait son nom à la patine aussi usée que ses pierres. Oublieux de l’heure, de captivantes digressions historiques et architecturales les avaient poussés jusqu’au soir. L’homme, heureux de trouver un interlocuteur pointu et intéressé, lui avait offert de partager un repas et de dormir chez lui :

— Il serait préférable que vous dormiez ici monsieur Wallon, la route n’est pas sûre de nuit et l’orage qui menace vous prendrait au dépourvu. J’ai une chambre d’ami que je tiens toujours prête, bien que je reçoive peu. Si vous ne craignez pas la peur qu'enfante la proximité de ce que beaucoup appellent en tremblant des esprits ?
— Bien sûr que non ! répondit-il en haussant les épaules.

Bill Wallon se retrouva déçu par cette ultime remarque, il s’était persuadé que ce vieux Lord ne s’encombrait pas de superstitions idiotes. Le Lord n'avait fait aucune allusion à un habitant millénaire qui traînait ses chaînes toutes les nuits de pleine lune. Le vieil homme garda un sérieux flegmatique et Wallon envisagea que l'homme s'amusait à ses dépends ou le testait. Les ermites, de quelque rang social soit-il, le plongeait dans l’incompréhension.

Bill logea dans une vaste chambre aux murs de pierre brute masqués sous de lourdes tapisseries. L'électricité, pour la lumière et le chauffage, avait été installée quelques années plutôt et les câbles pendaient, artisanalement fixés aux murs. Wallon comprenait que saigner la pierre aurait demandé des travaux titanesques et que par soucis d’économie un tiers du château avait été équipé pour le confort de ses hôtes, du maître et d’une poignée de serviteur. Bill repensa avec un sourire aux deux aimables domestiques qui avaient papillonné autour de la table pour servir le repas.

Un bon feu grondait dans la cheminée pour aider le chauffage, branché en son honneur, à chasser le froid et l'humidité incrusté dans les pierres séculaires. Le foyer crépitait au pied du lit à baldaquin sur le mur opposé. Bille ne peinerait pas trouver le réconfort des flammes orangés pour réchauffer une literie imprégnée de l’odeur de moisissure malgré une senteur florale d’assouplissant. La chambre avait des proportions titanesques, il pria pour qu'elle ne rencontre pas d'icebergs. Suspendus entre les lourdes tapisseries, des armes et des trophées jouaient des ombres et des lueurs projetées par le feu. Complétant le tableau, une fenêtre à guillotine percée à partir d'une meurtrière s'ouvrait sur la profonde vallée aux pieds du géant de pierre.

Wallon se coucha au plus vite et, abattu de fatigue, recroquevillé au centre du matelas moelleux, il s'endormit aussitôt. Bill sombra dans un sommeil sans rêves, profond et réparateur.



*******



Le froid s'insinuait par le haut des draps et Bill se réveilla à demi. Le feu était mort, la chambre envahie par la nuit. Ronchon, il remonta les draps qui avaient dû glisser, prêt à replonger. Il ne se rendormit pas. Un frôlement, frottement à peine perceptible le tira des limbes. Incapable de résister, dans un demi-sommeil nébuleux, Bill écouta la nuit. Il n’osait bouger, l’inconnu l’observait, les poils hérissés par la chair de poule. Pris au dépourvu, Wallon ne relativisa pas.

Le cœur poussait par à-coups contre ses côtes resserrées, la salive déserta sa langue et son palais. Il resta là, bouche ouverte comme un poisson que l'on tire de l'eau. Le bruit se manifesta de nouveau, ses entrailles se nouèrent et un poing énorme se logea douloureusement dans sa gorge. Pas de chaînes, pas de « Houhou » apocalyptique, juste un bruit indéfinissable et une présence menaçante.

Sa raison se fraya un chemin au travers des peurs pour chasser une angoisse croissante face cette manifestation de l’étrange. Devant ce phénomène qu'il pressentait d'humeur paranormale, telle une torche, sa curiosité s'alluma. Il extirpa sa tête de sous les draps. S'il avait eu froid quelques instants auparavant, sa peur lui réchauffait les entrailles. Ses perceptions l'avertissaient d'un danger. Il se tenait prêt de lui mais son intelligence et ses préjugés réfutaient l'appel de ses instincts.

Bill s’arrêta de respirer en un geignement involontaire. La nuit d’encre se baigna d’une lueur blafarde, comme si le faisceau d’un phare se braquait sur la fenêtre. Le temps était couvert et calme, même la lune n'aurait pu refléter un aussi fort éclairage. Un vague sourire naquit sur ses lèvres. Wallon imagina le pépère essayant un tour pendable sur son invité terrorisé. Si des peurs ancestrales remontées du fond de ses gênes ne l'avaient submergé, l'idée l'aurait fait éclater de rire. Bill ne se sentait pas d’humeur joyeuse, une façon d’exorciser cette crainte provoquée par ces lueurs qui se déplaçaient juste derrière le carreau.

Wallon jeta un coup d'œil vers le foyer et ne distingua que quelques braises incandescentes. Plus de doutes des lueurs blanches que certains classeraient dans les ectoplasmes, se déplaçaient lentement dans la pièce. Elles entraient à flots contenus par la fenêtre dont il s’assura de la fermeture d’un regard. Il ne voulait plus de sortir de son lit pour aller surprendre le Lord où l'un de ses valets, faisant joujou avec un projecteur dans la cour ; terrorisé comme un enfant, la peur du grand méchant loup enracinée au creux de l’estomac.
Un vent surgit d'on ne sait où, hulula à l'extérieur. La bourrasque se plaqua contre le verre et le fit vibrer, les claquements répétitifs le propulsèrent au sommet d’une peur irraisonnée. Bill se rappela le temps calme de son arrivée et comptait bien ne pas rester bloqué ici par une tempête soudaine descendue tout droit des Highlands. Le verre se déforma vers l'intérieur comme une bulle de malabar et pendant un court moment, il crut que la fenêtre exploserait. Il imagina les morceaux coupants le lacérer, projetés au travers de la chambre tel les couteaux d'un jongleur de cirque.

Elle n'explosa pas mais s'ouvrit à la volée. La guillotine remonta avec un grincement effroyable et tapa contre la butée. Invention de sa lucidité perturbée, il la vit redescendre et sa tête rouler sur le sol. Wallon avait toujours eu beaucoup d'imagination mais là s'en était trop. Une peur paralysante balaya sa froide observation de cet événement paranormal. Sa bouche s’ouvrit grand pour laisser échapper un cri de détresse. Il ne sortit jamais de son gosier contracté par l'épouvante, tétanisé, les membres immobilisés. Les bras de Bill se gonflèrent sous l'effort, pour seul effet d’enfoncer ses ongles dans le drap, comme une femme blessée d'avoir été surprise nue dans un lit par un inconnu. Bill devait réagir, un sombre pressentiment l'avertissait que la fête commençait et qu’elle serait donnée à ses dépens.

Les lueurs entrèrent, ou plutôt, lancèrent l’assaut de la chambre dévasté par un vent violent. Un éclair l’aveugla et le tonnerre gronda, répercuté par les échos de montagnes proches. Un calme soudain suivit l’accès de brutalité. D'un bleu évanescent comme une brume impalpable, les lueurs se répandirent dans la grande pièce. Poussé par un courant d'air discret, le brouillard luminescent étendit lentement ses bras vers le lit et l'animal prostré dessus qui attendait la mort sans pousser un seul cri. Antinomie parfaite du coup de boutoir qui avait secoué la fenêtre un instant plus tôt.

D'un mouvement brusque, comme un magicien levant les bras vêtu d’une longue toge bleue, les lueurs se dressèrent au pied du lit à baldaquin. Un vent froid et furieux gonfla les draps pour les lui arracher, ébouriffant ses cheveux comme s’il observait la tempête du sommet d’une falaise au bord de l’atlantique. Les couvertures s’envolèrent, la douleur irradia de ses doigts crispés. Des remous agitèrent le spectre bleu au passage des morceaux de tissu. Incongrue, Bill fit l’analogie avec une pièce envahie par une armée de fumeurs invétérés.

Des serres d'un bleu lumineux se jetèrent sur lui, glacées, éthérées mais au combien réelles. Wallon, terrorisé, en oublia le froid piquant mais sortit de sa léthargie. Lorsque la texture intangible de l’ectoplasme de brume se referma sur ses chevilles, sa gorge se dénoua d'un pouce et un faible gémissement lutta contre le sifflement du vent. Pour toute réponse, Bill entendit un rire sadique s’élever au cœur de son âme. La vessie de Wallon se tordit, prête à déborder mais il ne s'oublia pas.

Des choses impalpables l'agrippèrent par les jambes et tentèrent de le tirer en dehors du lit. Bill n'était pas une petite nature et il s'accrocha à la boiserie. Les muscles tendus, il résista vaillamment à la force titanesque qui voulait l'extirper de son repère dévasté, découvert, exposé au vent froid dont la violence redoublait.

Le visage tourné de côté, Bill admirait contre son gré le spectacle des tapisseries qui claquaient au vent. Elles secouaient leurs décennies de poussière qui tourbillonnaient dans la brume iridescente. La grande armoire en massif vacilla avant de s'écrouler avec fracas. La terreur de Wallon augmenta encore d'un cran. Éperdu, il se concentrait pour résister à ce qu'il savait maintenant être un esprit frappeur, pour le moins. Bill luttait de toutes ses forces pour rester accroché au lit qui semblait immuable, indéplaçable.

Bill se tortura la gorge pour alerter les rares habitants humains du vieux château et obtenir de l’aide avant d’être défenestré. Les cordes vocales de Wallon s’enraillèrent, essoufflé, à bout de forces, il ne couvrait pas le vacarme du vent et des meubles brisés. La porte, sujet de ses œillades éplorées, s'entrouvrit pour laisser filtrer un fin rayon de lumière dans les voiles bleues. Le brouillard desserra la pression qui lui enserrait les chevilles, aussitôt les lueurs s'estompèrent. Le rire cruel, agressif et méchant de l'esprit le secoua à nouveau. Le vent s'arrêta dans l’instant et la guillotine de la fenêtre retomba si violemment que du verre se répandit et tinta sur la pierre brute.

La porte s'ouvrit en grand. L'esprit s'était retiré et Bill constata les dégâts à la lumière blanche d'une lampe à alcool. L'armoire était réduite à du petit bois à jamais inutilisable, les tapisseries pendaient, déchirées, lacérées, décrochées et le tapis déchiqueté montrait les dalles de pierre par d’horribles trous effilochés, les coins disloqués.

Le haut du torse de Bill reposait sur le bord inférieur du lit, les mains cramponnées au cadre. Les jambes s’emmêlaient aux franges du tapis et ses vêtements n'avaient rien à envier à la descente de lit ; des loques. Déplacé par la force des choses, le lit occupait le milieu de la chambre. Le souffle court, les bras douloureux, Wallon balbutiait des remerciements, l’équivalent d’une prière. Les minutes précédente avait été digne d’un supplice moyenâgeux, le bourreau magnanime l’avait épargné.

Soulagé d'échapper à une mort horrible, Wallon soudait la nuit noire au travers de la fenêtre brisée battue par une pluie fine. Il se redressa et soupira, les pieds mal assurés, ses jambes tremblaient au point de le faire tanguer comme un ivrogne. Bill se tourna vers la porte encombrée d’une assistance médusée. L’ombre du vieillard se découpait dans la lumière en provenance du couloir, des murmures étonnés le dépassèrent.

Le Lord essaya d'allumer le lustre. Ce dernier, arraché, reposait, brisé, à deux pas derrière Wallon. Le propriétaire attrapa une lampe des mains d’un de ses domestiques et la leva pour observer le terrible massacre.

— Mon dieu ! s'exclama-t-il à mi voix. C'est une tornade qui est passée par ici ?

Le Lord balaya la chambre d'ami dévastée avant de se fixer sur son invité dans un état non moins regrettable. Encore secoué de spasmes, Bill s’assit sur le lit. La tête lui tournait et il s’attendait à perdre connaissance. Le vieil homme pénétra dans la chambre, suivi des domestiques attirés par le remue ménage.

— Comment vous sentez-vous monsieur Wallon ? lui demanda-t-il, terrifié.

Il découvrait, effaré, combien un petit esprit frappeur sans envergue, le croyait-il, pouvait engendrer comme désordre.

— Oui ! … Je pense que ça va, répondit-Bill d’une voix tremblante.

Bill douta aussitôt de son diagnostic. Son hôte se jeta en avant pour lui porter secours. L’inconscient interpréta le mouvement comme une agression mais il ne put se défendre. Bill après s'être rejeté en arrière, s'évanouit.

Enfin, il le supposa et c’est ce qu’affirmèrent les habitants du château lorsqu’il se réveilla dans le divan du grand salon et qu’ils le détaillaient de leurs yeux brillants de curiosité. Tous les visages exprimaient une attente mystique et de la crainte. Sur celui du Lord un large sourire s'étalait en une parfaite imitation du flegme britannique. L’horloge sonna quatre heures et le sommeil fuirait Bill pour cette nuit là. Celles à venir seraient perturbées par le souvenir de cette chimère lumineuse. Une agression dont il ne se relèverait pas de si tôt.

— Je vous l'avais dit, Monsieur, qu'il y aurait des accidents un jour ou l'autre, prophétisa l’un des domestiques.

Bill le reconnut comme le chef cuisinier de la grande demeure, un homme gras, aux joues tombantes et luisantes. Comme les autres, il devait endosser plusieurs casquettes en plus de la toque par soucis d’économie, jardiniers et chauffeur.

— Ce n'est pas encore un drame qui vient de se dérouler ! remarqua le Lord.
— Avec tout mon respect, monsieur, à quelques minutes près ça en aurait été un.

Le cuisinier secoua sa tête et une bonne partie de son visage entra en mouvement. Le vieillard, maintenant assis auprès de Wallon, réfléchit quelques instants avant de répondre.

— Cela est vrai ! dit-il. Mais notre fantôme n'avait jamais provoqué plus quelques bruits, lueurs ou frottements. Comment aurais-je pu deviner que ces manifestations d’outre-monde prendraient de telles proportions ?

Le flegme du Lord s’en donnait à cœur joie, entretenant une façade imperturbable. Qui aurait pu dire qu'un homme venait de passer à deux doigts de la mort sous son propre toit ? Qu’une chambre avait été ravagée ? Bill revenait lentement à lui. Il s’assit sur le divan et bougea bras et jambes. Wallon gémit, perclus de courbatures. La petite assemblée sursauta, le cuisinier se retourna nerveusement et passa ses doigts boudinés dans des cheveux d'un blond-sale. Les deux servantes, assise côte à côte dans un grand fauteuil, manquèrent de se mettre debout. Sans précipitation, le propriétaire se tourna vers son invité pour lui tendre un verre empli d'une substance ambrée et dit d'une voix douce et unie :

— Comment allez-vous monsieur Wallon ?

Ses yeux exprimaient sympathie et compassion. Le jeune homme avala une lampée de whisky brûlant avant de d'affermir sa voix pour parler.

— Comme un homme qui vient d'être agressé en pleine nuit par des fantômes et des esprits, à votre discrétion, pour la première fois de sa vie et qui a dû s’arrimer à un lit pour la garder. Je suis heureux d'être encore parmi vous et pas dans votre cour, ou pire, au fond de la vallée.

Le Lord lui remplit de nouveau son verre. Après qu'il ait bu, il ajouta avec un petit sourire :

— Bien ! Très bien !

Le liquide chauffait le tube digestif de Bill et la tête lui tournait lorsque la porte s'ouvrit à toute volée. Une terreur indicible se peignit sur les traits de tout à chacun, ainsi que du châtelain. Le même soupir de soulagement accueillit le régisseur enturbanné d'une robe de chambre tendue sur sa lourde charpente. Ça nature calme oubliée dans la chambre d’invité d’où le géant venait. Les mots que le régisseur prononça s'enchaînèrent avec rapidité sur un rythme saccadé :

— La fenêtre a été condamnée, Monsieur (il jeta un coup d'œil inquiet à l'invité ressuscité) et j'ai entassé les meubles brisés dans un coin.

Le régisseur s'avança dans la pièce animé de frissons. Il saisit un verre et se servit à la bouteille du Lord. Le géant vida l’alcool d’un trait en bon écossais qui se respecte. Il s'assit sur le divan et coula un regard étonné vers Wallon comme s'il faisait face à un mort vivant ou un mortel possédé.

Wallon relata les événements subis au cours de la nuit. Il trouva un auditoire attentif qui l’écouta avidement, en manque d'émotions fortes. Ils posèrent nombre de questions pour obtenir des détails qui ne le mirent pas du tout à l'aise.

— Vous m'avouerez tout de même ! s'exclama le cuisinier. Nous n'avions entendu jusqu'à présent que quelques bruits étouffés, insista-t-il. Rien de bien méchant, juste assez pour nous faire trembler de la honte de notre peur lorsque nous n'y étions pas habitués. On avait peut-être cru voir des objets se déplacer, au grand maximum. Mais ça ! Et pourquoi aujourd'hui ?
— Allez savoir mon brave ! répondit le vieux Lord. Il y a longtemps que je connaissais la présence d'un vieux fantôme dans la famille, soit disant un ancêtre éloigné péri de mort violente. Selon des dires de bonnes femmes, celui qui construisit ce manoir. Autant vous avouer que ça remonte à loin ! (Le Lord parut songeur un instant avant de continuer.) Ma femme, très superstitieuse en avait fait appel à une voyante pour entrer en communication avec mon parent. Ma femme, qui assistait à la séance de spi... spi.....
— Spiritisme !
— Merci, monsieur Wallon… a parlé avec mon aïeul et soutenait par la suite à qui voulait l'entendre que ce fantôme se comportait en parfait gentleman. La voyante n'a bien évidement pas contredit.
— Et bien, fit en souriant une des servantes, pour mettre un invité et une pièce dans l'état où il les a mis, le temps a dû durcir son caractère.

Pouffant de rire, l'autre la poussa du coude et dit :

— Tais-toi ! Il pourrait t'entendre et se sentir offensé.

Les sourires s'estompèrent pour laisser place à des grimaces apeurées. Toute la maisonnée commença à couler des regards suspicieux vers les fenêtres et l'atmosphère s'électrisa dans le silence. Un matin blafard ne tarda pas à se montrer, Wallon ne s'attarda pas. Il tremblait comme une feuille, hanté par le souvenir de ces doigts bleus et glacials qui avaient cherché à le tuer. Le ciel obstinément bouché suintait d’une pluie douce et pénétrante. Bill ne revit pas le soleil avant Londres et sa conscience ne s’allégea pas de si tôt. Le sommeil perturbé pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce qu’il se décide à obtenir l’aide d’un médium et trouver des explications.



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